La Loi Sapin 2, nouveau cadre français en matière d’éthique des affaires

7 avril 2016

Pour les entreprises, françaises, le nouveau cadre posé par la loi Sapin 2 implique notamment la mise en place effective de 3 leviers composant les bases d'une démarche éthique: Formaliser un code de conduite - Mettre en place la gouvernance de l'éthique et le dispositif d'alerte/de traitement des cas de non-conformité - Monter en compétences les équipes. Cette obligation devrait toucher toutes les entreprises de plus de 500 collaborateurs.

Le premier trimestre 2016 vient d’être largement marqué par le sujet de l’éthique des affaires. En effet, la justice vient de rendre sa décision sur deux affaires un peu particulières tandis que la loi sur « la transparence de la vie économique », dite loi « Sapin 2 », est sur le point d’être présentée devant les parlementaires. Les choses bougent sur le sujet mais quelles en seront les conséquences concrètes pour les entreprises françaises et internationales ?

Revenons d’abord sur l’actualité juridique. Le 18 février dernier, le Département de la Justice (DoJ) américaine a infligé sa deuxième plus grosse amende en matière de corruption dans un pays étranger. VimpelCom, l’un des plus grands fournisseurs de services de télécommunication mobile au monde, coté à New-York et dont le siège social se trouve à Amsterdam, a signé un accord pour une amende de 835 millions de dollars (le maximum cumulé fût de plus d’un milliard pour Siemens en 2008). La société a reconnu avoir versé de nombreux pots de vin afin d’obtenir des licences pour opérer en Ouzbékistan.

Ensuite, pour la première fois, le 26 février dernier, la justice française a sanctionné une entreprise française pour corruption d’agents publics. Le Groupe Total a été condamné en appel à payer une amende de 750 000€. L’OCDE et l’Union Européenne reprochaient à la France son manque d’engagement en matière de lutte contre la corruption transnationale et le fait qu’aucune entreprise française n’avait fait l’objet de condamnation définitive sur ce sujet alors même que des condamnations sur ce chef ont été prononcées à l’étranger sur des sociétés françaises. C’est aujourd’hui chose faite.

Ces deux condamnations sont le symbole de l’importance qu’a pris la lutte contre la corruption dans le monde avec un impact fort des lois à portée extraterritoriale et l’ampleur que peuvent prendre les sanctions financières qui s’en suivent.

Elles sont également des signes d’une évolution de la réglementation. Les Etats-Unis s’étaient imposés comme les gendarmes du monde sur le sujet grâce à l’application du principe d’extraterritorialité prévu dans le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA – 1977). Depuis 2010, les juges anglais ont également à leur disposition un outil leur permettant une application transnationale : le Bribery Act(UKBA).En 2014, le Brésil a suivi le mouvement avec le Clean Company Act.

Cette évolution est aujourd’hui en passe d’être suivie par la France avec le projet de loi de transparence de la vie économique.

Demandé par François Hollande et présenté fin mars en Conseil des ministres, le texte devrait être débattu dans les prochains mois à l’Assemblée Nationale. L’ambition du projet est de faire évoluer la législation française en matière de corruption dans le sens des législations anglo-saxonnes.

Parmi les axes essentiels, une Agence Nationale de Prévention et de Détection de la Corruption, ayant un pouvoir d’enquête et de sanction et une obligation de prévention contre les risques de corruption devraient être créées.

Attention, cette obligation devrait s’imposer :

– aux sociétés employant au moins 500 salariés ;

– aux sociétés appartenant à un groupe employant au moins 500 salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 100 millions d’euros ;

– aux dirigeants des sociétés visées ci-dessus.

Elle consisterait à prendre des mesures « effectives » destinées à prévenir et détecter la commission, en France ou à l’étranger, de faits de corruption ou de trafic d’influence. En cas de manquement, l’Agence pourrait mettre en demeure le contrevenant voire adresser des injonctions de mise en conformité et prononcer des sanctions (jusqu’à 200.000 euros pour les personnes physiques et 1 millions d’euros pour les personnes morales). On retrouve donc dans ce projet la notion de prévention du risque de corruption prévue par le texte anglais (UKBA) et qui s’applique déjà à de nombreuses entreprises dans le monde du fait du principe d’extra-territorialité.

Une peine complémentaire de mise en conformité est également prévue. Elle consisterait en une obligation de mettre en œuvre un programme de conformité sous le contrôle de l’Agence et pourrait être prononcée en cas de condamnation pour des délits de corruption ou de trafic d’influence. Les frais engendrés par cette mesure seront à la charge du condamné.

Par cette proposition de loi, le gouvernement semble vouloir éviter que les entreprises françaises soupçonnées de fait de corruption à l’étranger ou sur le territoire national tombent sous le coup de juridictions étrangères avec, pour conséquence, le versement d’importantes amendes dans les caisses de l’Etat du juge qui s’est saisi.

Attention: Cette loi pose la question du risque de la double sanction pour les entreprises. Ce fût déjà le cas pour Siemens qui fût sanctionnée à la foi par le juge américain mais également par le juge allemand, ce qui a eu pour conséquence la plus importante amende de tous les temps pour des faits de corruption. Le principe juridique no bis in idem qui implique que l’on ne peut pas être puni pénalement une deuxième fois pour le même fait ne semble pas pouvoir protéger les entreprises dans tous les cas*.

Par conséquent, il est recommandé aux entreprises françaises de ne pas croire que l’instauration en France de cette nouvelle législation leur permettra d’échapper aux condamnations étrangères, dont les montants sont souvent très importants.

Il est par ailleurs nécessaire qu’elles prennent en compte la mesure de l’enjeu et mettent en place rapidement les dispositifs de prévention prévus par le projet de loi à savoir :

7 leviers à retenir, dans deux registres différents.

3 leviers composant les fondements de la démarche en elle-même (phase de 1erdéploiement):

1. L’adoption/la formalisation d’un code de conduite décrivant les comportements prohibés;

2. La mise en œuvre d’un dispositif d’alerte interne ;

3. La formation des cadres de la société et du personnel le plus exposé.

4 leviers de pilotage dans la durée (phase d’entretien):

4. L’établissement d’une cartographie des risques (régulièrement actualisée) ;

5. La mise en œuvre d’une procédure de vérification de l’intégrité des clients, des fournisseurs, des partenaires et des intermédiaires ;

6. La réalisation de contrôles comptables ;

7. L’instauration d’une politique de sanctions disciplinaires.

Les sociétés concernées et leurs dirigeants doivent donc anticiper dès à présent la mise en œuvre de ces mesures effectives. L’éthique des affaires ne doit plus être une question de spécialiste du droit et de la compliance, elle doit être rendue concrète et visible pour toutes les personnes concernées que ce soit de par leur métier ou leurs responsabilités.

Olivier Classiot et Nathalie Renouard

*Pour en savoir plus : article de réflexion sur le sujet :

http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/lois-anticorruption-les-entreprises-francaises-face-au-risque-de-double-condamnation-555674.html