
CSRD et dirigeants : quelle position adopter face aux incertitudes règlementaires ?
4 février 2025
Les questions de durabilité sont devenues hautement stratégiques : elles affectent la résilience et la performance de chaque entreprise, ainsi que sa capacité de différenciation. Depuis au moins cinq ans – bien avant l’arrivée de la CSRD – les dirigeants ont progressivement pris conscience que cela fait partie de leur champ de responsabilité. Ils ont du s’y acculturer pour en faire un véritable outil d’aide à la décision stratégique. Par "dirigeants", on entend non seulement les membres du Codir, mais aussi les administrateurs et les actionnaires.
De leur côté, les Directions RSE jouent, depuis une dizaine d'années, un rôle d’animateurs de programmes d’action et de transformation. Elles impliquent les autres fonctions clés de l’entreprise et insufflent la durabilité dans l’ensemble de l’organisation.
Ces grandes évolutions et les enjeux qu’elles adressent ne seront pas remis en question par la CSRD ni par ses ajustements. Il ne s’agit donc pas de "poser le dossier", mais bien de se poser les vraies questions.
Décryptage par nos experts Marena Eirich, Marie-Laure Le Chevalier et Olivier Classiot.
La CSRD, une intention positive à l’égard des enjeux des dirigeants
La CSRD n’a pas révolutionné la prise en compte des enjeux de durabilité en tant que tel. La Directive Européenne a toutefois structuré la démarche et fourni un cadre commun : une liste d’éléments à passer au crible, un double prisme de lecture (matérialité financière et matérialité d’impact), la systématisation de la prise en compte de la chaîne de valeur et de la dimension prospective, une évaluation des enjeux plus objective et robuste…
Cette directive n’a pas rendu la durabilité stratégique. Néanmoins, elle a intégré la nécessité pour les entreprises d’être transparentes sur l’évaluation des enjeux pertinents et de faire le lien entre chaque impact, risque et opportunité et la résilience du modèle d’affaires.
Son ambition est d’aider les dirigeants de toutes les entreprises à intégrer progressivement la question de la durabilité dans leur modèle en prenant appui sur une méthode rigoureuse, d’assoir la compétitivité des entreprises et de permettre la comparabilité entre des entreprises de même secteur.
Quel que soit l’avenir de la CSRD, l’intégration des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance demeurent une tendance structurelle. Cela se vérifie notamment dans la relation des entreprises avec leurs financeurs et leurs donneurs d’ordre. C’est un impondérable pour créer de la valeur durable et économique et assoir la résilience de son entreprise.
La CSRD, une directive à forte valeur ajoutée
Dans sa dimension stratégique, la CSRD apporte de vrais éléments de valeur pour les dirigeants :
– Le travail sur toute la chaîne de valeur. Il est nécessaire pour avoir une vue à 360 degrés sur ses activités et bien comprendre son écosystème et les enjeux de chaque famille de parties prenantes. Il permet ainsi d’être en capacité d’appréhender les impacts, les fragilités ou dépendances, et les opportunités (saisies ou non).
– L’identification robuste d’enjeux matériels. Elle s’appuie sur une évaluation objective (fondée sur des documents scientifiques, prospectifs, et des interviews d’experts) et une grille d’évaluation structurée et logique (inspirée des grilles de risques).
– L’implication des dirigeants. En appelant à une prise de décision des instances de Direction quant à la bonne manière de traiter les enjeux matériels (ambitions, délais, moyens…), en les amenant à s’interroger vraiment sur les incidences des enjeux de durabilité sur leur modèle d’affaires et à décider des leviers d’actions (à court et long terme).
Un petit nombre de dirigeants ont déjà pu voir dans la CSRD un vrai levier stratégique et se sont plongés dans l’exercice avec intérêt, en embarquant leur Direction. Nous en avons quelques témoignages.
Le vécu des dirigeants, une mise en œuvre de la CSRD parfois perçue comme complexe et paralysante
La mise en œuvre complexe de cette loi (en particulier pour ceux qui n’avaient pas de démarche RSE formalisée) et le poids relatif excessif donné au volet reporting ont généré des interrogations légitimes de la part de nombreux dirigeants.
Si l’intention est louable et concrète, la manière dont la loi a été codée par certains acteurs dans sa mise en œuvre a généré des craintes et des freins (renforcés par le contexte géopolitique et les questions sur la compétitivité de nos entreprises) :
– D’un côté, les directions RSE n’ont pas toujours eu le temps ou pris les dispositions nécessaires pour faire équipe avec les DAF afin de convaincre les Directions Générales de l’importance stratégique de cette loi.
– De l’autre, une pression énorme a été mise sur le volet reporting (pour garantir ‘’la compliance et l’’ auditabilité ’’ de déclaration de durabilité).
Les conséquences : un détournement de l’objectif même de cette directive CSRD avec des effets pervers
Au lieu d’identifier des thématiques de matérialité critique et de les faire valider par les dirigeants pour en tirer de vraies priorités stratégiques, de nombreux acteurs ont eu une approche trop scolaire de ces enjeux et des points de donnés rattachés.
A la place de déployer de l’énergie et des moyens dans des actions de terrain répondant aux enjeux prioritaires, avec un calendrier et un objectif d’impact, on a accordé une attention excessive au reporting et à sa mise en œuvre.
Plutôt que de prendre le temps de dialoguer avec les parties prenantes (dont les partenaires d’affaire), pour assurer la pertinence business des priorités et des actions choisies, on a – pour gérer la masse de sujets à traiter – opté pour des approches uniquement internes (au risque de tomber dans une approche ‘’hors sol’’).
Et si la remise en question actuelle était l’occasion de revenir au ‘’bon sens paysan’’ et à une approche plus pragmatique, qui intègre la performance économique et la durabilité ? Qu’en pensez-vous ? Faites-nous le savoir ici. Nous communiquerons très prochainement un article sur les incertitudes sur l’avenir de la CSRD et les bonnes questions à se poser pour les dirigeants.